Dans certaines campagnes d’Afrique du Sud, il arrive de croiser un drôle d’animal muni d’un long cou et équipé d’un réservoir, poursuivi par une femme qui l’oblige à parcourir des pistes accidentées, ou à franchir des obstacles difficiles. Cet animal de brousse, étrange et domestiqué, s’appelle un Hippo Water Roller. Sa mission, transporter de l’eau, jusqu’à 90 litres en une seule fois, pour une charge voisine de 10 kg.
Soit l’équivalent de cinq seaux de 20 kg chacun, un fardeau porté sur la tête. Il allège la sacrément la tâche des femmes habituées à parcourir plusieurs kilomètres pour se ravitailler au point d’eau le plus proche, avec souvent plusieurs aller- retours par jour. Il leur évite aussi une accumulation de seaux d’eau qui se compte en années, et qui finit par peser sur la colonne vertébrale. Malgré de gros efforts après l’Apartheid pour développer une politique de l’eau, de nombreuses régions rurales d’Afrique du Sud restent oubliées.
Dans les campagnes pauvres, environ 7 millions de personnes, et sans doute plus, ne disposent pas d’une source d’eau à proximité. Ce qui signifie aussi que quelques millions de femmes et d’enfants marchent beaucoup pour rapporter l’eau nécessaire au ménage.(2) (3) Une corvée fatigante, qui ne permet pas toujours de satisfaire les besoins journaliers. C’est dans ce contexte de pénurie et d’asservissement que Pettie Petzer et Johan Joner, deux ingénieurs sud-africains, imaginent au début des années 90 une autre façon de transporter l’eau. Ils l’appellent alors « Aqua Roller ».
Le corps, fabriqué en polyéthylène, sert à la fois de roue et de réservoir. Il est surmonté d’une poignée de fer qui permet de le tirer, ou de le pousser, selon les difficultés du terrain. Poussé en territoire miné, il peut aussi sauver des vies. Cet « hippopotame » tout-terrain, évocation du « cheval du fleuve » en Grec ancien, s’est fait un nom dans le monde du design. En 1992, le «Cullinan Design Award ; en 1997 le « Design For Development Award »; et en 2005 le « Index Design To Improve Life Award ».
En 2010, près de 30.000 rollers ont été distribués, en Afrique du Sud surtout, mais aussi e Namibie, ou dans le Nord de la Somalie, via le PAM, le programme alimentaire mondial. Une enquête révèle que chaque roller facilite la vie de 7 personnes, plus tous ceux qui bénéficient d’une eau plus légère. Le projet est introduit par IMBUVU, « Hippo » en langue Zoulou, une organisation qui travaille à alléger la pauvreté avec des solutions simples.(4) Il est ensuite porté par INFOTECH, une entreprise spécialisée en technologies de l’information, qui reconnaît l’utilité sociale de l’invention, et collecte des fonds. Le Hyppo Water Roller, trop cher pour un paysan sud-africain, est financé par des donateurs.
Aux Etats-Unis, la Hippo Water International, une ONG, s’en charge. (1) Toujours au Etats-Unis, Emily Pilloton, designer industriel, assure la promotion du roller, via sa Fast Company. Elle en a acheté 75 pour un village d’Afrique du Sud. C’est aussi elle qui remarque les dysfonctionnements d’un marché qui ne demande pourtant qu’à grandir. Une production peu efficace, 75 rollers utilisables pour 120 fabriqués. Un coût de transport trop élevé, des roues volumineuses qui voyagent à vide. (5) Et, sur le terrain, des containers détériorés, rafistolés avec des sacs plastiques. Quelques fausses notes pour une technologie simple, qui porte une petite révolution sociale. Question de moyens.
MJ