Première femme africaine à recevoir un prix Nobel de la paix en 2004, le professeur Wangari Maathai n’a jamais cessé de se battre pour le progrès de l’Afrique. Environnementaliste, fondatrice du Mouvement de la ceinture verte, elle s’est toujours dressée contre le régime de Daniel Arap Moi. Son dernier livre, « Un défi pour l’Afrique», offre une vision de l’histoire et de futur de l’Afrique à la fois sans concession et pleine d’espoir. c ‘est son testament. pour les générations futures
Pourquoi avez-vous écrit « Un Défi pour l’Afrique » ?
J’ai écrit « Un défi pour l’Afrique » afin de partager mes 30 ans d’expérience au Kenya avec ceux qui travaillent au progrès de l’Afrique et de leur parler des défis que j’ai eu à relever. Je pense que ces défis sont communs à l’ensemble du continent et qu’il nous faut les relever ensemble, sans quoi c’est toute la région qui restera à la traîne. J’espère que des élites africaines, les étudiants et les membres d’ONGs le liront afin de comprendre les défis auxquels l’Afrique fait face.
Quel est votre but en écrivant ce livre ?
Pourquoi les choses ne fonctionnent-elle pas ? Même lorsqu’il y a l’argent et les gens motivés, parfois les choses ne fonctionnent pas. Mon impression c’est que l’on compartimente les problèmes. On se concentre sur un ou deux d’entre eux et on oublie qu’on à affaire à des communautés entières qui ont une histoire, une histoire parfois très difficile et qui continue à avoir un impact sur leur vie. Il nous faut comprendre cette histoire si on veut pouvoir les aider. J’espère que ceux qui liront ce livre parviendront à comprendre que le progrès en Afrique, ou le progrès plus généralement, doit être approché de façon globale. J’espère qu’ils remettront en question la façon dont ils envisagent la notion de progrès ainsi que leurs méthodes et leurs programmes de développement en Afrique. J’espère que mes lecteurs africains se comprendront mieux eux-mêmes ; que grâce au livre ils pourront se révéler à eux-mêmes et se voir tels qu’ils sont vraiment. J’espère qu’ils n’écouteront plus ceux qui leur disent qu’ils sont et comment ils devraient être. Car il est très difficile d’avancer lorsqu’on ne sait ni qui l’on est, ni d’où l’on vient.
Pourquoi parlez-vous de « défis » plus que de problèmes ? Cherchiez-vous à offrir une nouvelle perspective ?
J’utilise le mot « défi » afin d’éviter l’idée que nos problèmes sont extraordinaires, impossible, à résoudre, ou spécifiques à l’Afrique. Lorsque nous faisons face à un « problème », nous avons tendance à être accablés. Mais nous voyons ces problèmes comme des défis, alors nous nous rendons compte que nous, humains, devons constamment faire face à des défis tels que les phénomènes naturels, et nous leurs faisons face avec courage, nous n’essayons ni de les éviter, ni de les cacher, ni de les manipuler. Ce n’est pas comme si ces problèmes pouvaient être résolus du jour au lendemain, mais en les voyant comme des défis on y travaille, on se donne du temps et on accepte aussi le fait qu’ils ne seront peut-être pas résolus de notre vivant.
Vous dites que le livre doit changer la façon dont le lecteur voit l’Afrique et la façon dont il se voit lui-même. Dans le livre, vous parlez aussi du concept de kimenya. Pourriez-vous nous parler de ce concept ?
Le concept kimenya vient de ma langue natale et signifie « se connaître soi-même ». J’ai commencé à apprécier ce mot lorsque dans les séminaires que j’organisais, j’ai pris conscience que bien souvent nous ne comprenons ni nous-même ni l’environnement dans lequel nous vivons. A cause de cela, beaucoup de nos problèmes proviennent de l’ignorance, de la peur et de la désinformation. Si nous comprenions, si nous comprenions notre situation présente, alors relever les défis qui nous font face serait plus simple. Quand on ne se connaît pas soi-même on a tendance à avoir peur, à être facilement intimidé, à être facilement persuadé et à accepter la désinformation. Alors nous ne pouvons résoudre aucun problème. Il faut cesser d’avoir peur, et pour cela, il faut se connaître soi-même. C’est au coeur de tous nos défis ; c’est le premier de tous nos défis.
Tout ceci est particulièrement important en Afrique car historiquement, l’Afrique a été imprégnée de peur. On l’a humiliée, on l’a exploitée, on a critiqué son histoire… Et maintenant, c’est le continent entier, le peuple africain entier qui vit dans la peur. A cause de la peur, il est très difficile pour l’Afrique, particulièrement l’Afrique subsaharienne, de se guider, de croire en elle-même, d’être fière, d’être créative et sûre d’elle-même, parce qu’elle a peur. Et parce qu’elle a peur, elle est facilement influençable par ceux de l’extérieur. Elle croit qu’ils sont meilleurs qu’elle et qu’ils en savent plus qu’elle. Alors l’Afrique devient la victime de sa propre ignorance.
Vous parlez d’une des conséquences de la peur et de la colonisation : la division entre les pays et peuples d’Afrique. Pourriez-vous nous parler de l’importance de la coopération ?
Tout d’abord nous savons bien que plus on avance dans le 21ème siècle, plus le besoin de la coopération devient évident. La planète devient très petite en terme de temps et de distances. Or, l’Afrique est toujours profondément fragmentée, et elle doit se rendre compte qu’au 21ème siècle, il ne lui sera pas possible de suivre de façon fragmentée. La fragmentation va du continent jusqu’au micronations (Wangari Maathai trouve le mot tribu péjoratif et préfère utiliser micronation, ndlr) parce que les Etats-nations d’Afrique n’ont pas été capables de créer une unité entre elles. Il n’y a pas eu d’effort pour les rassembler. En Europe, ou dans de nombreux autres pays, vous verrez que les micronations ont été rassemblées soit par la force, soit par le besoin de s’unir. Mais les micronations d’Afrique n’ont pas eu cette opportunité ; elles n’ont jamais ressenti le besoin de s’unir. Alors, elles se sont assemblées en plusieurs Etats-nations fragmentés. Et, en ce moment les élites africaines se battent pour le pouvoir et pour le contrôle des ressources en utilisant cette fragmentation. C’est pour cela que les micronations sont devenues un outil de pouvoir très puissant en Afrique. L’un des défis de l’Afrique c’est d’abord qu’elle a besoin d’unité, et que les fondements de cette unité, ce sont les micronations. Elles doivent coopérer aussi vite que possible. Ainsi naîtra le rêve des aïeux de l’Union africaine : une Afrique unie.
Il ne faut plus nier leur importance, les détruire, les criminaliser. Ensemble, elles pourront créer une Afrique capable de réduire les conflits et se concentrer sur le progrès. L’Afrique n’a pas le luxe de prendre aussi longtemps que l’Europe ou la Chine avant de s’unir, car elle fait partie du monde où le temps et l’espace se contractent, et, il lui faut avancer plus vite qu’aucun autre. Sans une union semblable à celle des blocs Europe, Amérique et Asie, l’Afrique restera vulnérable et affaiblie. Elle ne pourra pas participer ni à la gouvernance mondiale ni à la distribution des ressources. Alors elle ne pourra pas continuer à assurer une bonne qualité de vie pour son peuple.
Quelle est votre vision future de l’Afrique ?
J’ai évidemment deux visions pour l’Afrique. D’un côté, mon espoir et de l’autre ma peur/ ce que j’espère, c’est une Afrique unie, mieux éduquée et sur le devant de la scène mondiale, une Afrique où les élites se soucient de leur peuples et le protège de l’exploitation. J’ai beaucoup d’espoir pour l’Union africaine et je pense que c’est une bonne nouvelle laquelle nous devrions faire bon accueil. Il faut avant tout accélérer l’unification, car sans cela je ne nous vois pas réussir au 21ème siècle ni aux siècles suivants.
Ce dont j’ai peur, c’est d’une Afrique incapable de se rassembler et de s’unir assez vite, incapable de se mettre d’accord et de cesser des conflits à temps. Une Afrique qui n’aura pas la capacité de résister aux pressions qui vont venir de l’extérieur, particulièrement à cause de ses ressources.
L’Afrique n’est pas encore développée, mais cela lui donne une opportunité. Elle a tellement de ressources. Tant que l’Afrique n’est pas unie, ces ressources ne peuvent être protégées de façon à ce que le peuple de la région en bénéficie. Si vous avez une Afrique faible et fragmentée, vous aurez l’Afrique dont j’ai peur, et c’est une Afrique qui va se faire piller, où des pouvoirs viendront drainer autant de ressources que possibles tout en laissant la majorité du peuple africain pauvre et misérable. Ces pouvoirs continueront à prétendre qu’ils sont là pour aider et soutenir le peuple alors qu’en réalité, ils ne feront qu’exploiter ses ressources. J’ai deux images dans ma tête, et l’une des raisons qui m’ont poussée à écrire ce livre. Ce que je veux éviter c’est la seconde image.
©Le potentiel