Banner Before Header

Sauver la forêt tropicale, une mission impossible

0 682

ajafeforetsLa plupart des agences de défense de l’environnement baissent les bras devant la difficulté de protéger les forêts. Résultat : le déboisement  progresse.

Un représentant de la Banque mondiale a fait un jour un commentaire de célèbre mémoire : « La sylviculture, c’est 1 % des prêts et 90 % des  maux de tête. » Une constatation qui explique probablement pourquoi les  forêts tropicales continuent de disparaître à une vitesse désespérante.  Malgré de nombreux débats et des efforts déployés à l’échelle  internationale, la déforestation a été presque aussi rapide dans les années 90 que  dans les années 80, lorsque le monde a pris conscience du problème. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture  (FAO) vient de publier un rapport sur l’état des forêts mondiales, qui  révèle qu’entre 1990 et 2000 la couverture forestière africaine a diminué de 0,8 % par an et celle d’Amérique du Sud de 0,4 %. Et aujourd’hui l’attention internationale et l’aide au développement se détournent des forêts.

L’Agence américaine pour le développement  international (AADI) a incorporé son département environnement dans celui de l’agriculture, plus grand ; la sylviculture y est devenue quantité  négligeable. L’agence canadienne en charge de l’humanitaire a quant à elle  allégé son conseil d’administration en se débarrassant de son conseiller en sylviculture. L’unique responsable forestier de la Société de développement suisse (SDC) part en retraite et ne sera remplacé qu’à mi-temps. Et ainsi de suite. La plupart des prêts de la Banque mondiale dédiés à la sylviculture dans les années 90 ont été accordés à la Chine et  à l’Inde ; or la Chine ne peut désormais plus prétendre à des prêts bon  marché. Quant aux fonds destinés à l’Inde, ils sont menacés par les bisbilles entre les autorités en charge de la forêt et les  environnementalistes. D’autres organismes donateurs sont découragés par la complexité de la gestion des forêts.  La question de la gestion durable des forêts tropicales s’est enlisée dans un bourbier de polémiques autour des buts de la « durabilité » et de la question de savoir qui doit en payer la note. La situation à Iwokrama, au Guyana [ancienne Guyanne britannique], est une bonne illustration du problème. En 1992, porté par une vague d’enthousiasme écologique, Hugh Desmond Hoyte, président du Guyana, fait cadeau au monde de 3 700 km2 de forêt vierge. Les Nations unies apportent alors 3 millions de dollars pour financer le projet. Mais, les fonds ayant été rapidement engloutis, les donateurs d’Iwokrama comptent désormais sur l’argent rapporté par le tourisme, l’exploitation du bois et d’autres produits de la  forêt.

Dans la plupart des forêts, la source de revenus la plus évidente est le bois. Son exploitation contribue au produit intérieur brut (PIB) des pays tropicaux à hauteur de 3 à 6 %, et emploie entre 3 et 8 % de la population active. Mais elle est rarement viable financièrement, sans parler de l’aspect écologique. De fait, il est rare qu’une entreprise d’abattage envisage d’exploiter une forêt plus d’une fois. La plupart des entreprises qui pratiquent une bonne gestion forestière dans les pays tropicaux le font non pas dans la nature mais dans des forêts de plantation, selon Steve Bass, de l’Institut international pour le développement et l’environnement (IIDE), un groupe de recherche de Londres. « La sylviculture dans les forêts naturelles est souvent gérée par des repreneurs d’entreprises en faillite« , affirme-t-il. En effet, la plupart des forêts tempérées sont durables, dans le sens où il est possible d’alterner abattage et repousse. Mais elles renferment beaucoup moins d’espèces d’arbres que les forêts tropicales, dont l’hectare type abrite environ 300 essences. Ainsi, localiser et extraire un arbre particulièrement  recherché coûte bien moins cher dans les forêts tempérées que dans les tropicales.

Les droits de propriété sont également plus complexes dans les forêts  tropicales que dans les tempérées. Ces dernières sont généralement  considérées comme un capital, appartenant à un propriétaire bien défini. Dans les faits, personne n’y vit. Cela permet de les aménager sur le long  terme et constitue l’essence même de la durabilité. En revanche, les forêts tropicales sont souvent habitées par des peuples qui en dépendent  pour leur nourriture mais en revendiquent la jouissance en faisant -valoir la tradition plutôt que des titres de propriété. D’un autre côté, dans certains pays tropicaux, des individus sans terre viennent abattre un bout de forêt qui ne leur appartient pas et s’installent. Qui possède quoi est sujet à débat, ce qui rend la tâche des défenseurs de l’environnement encore plus ardue.

L’instabilité politique de nombre de pays tropicaux est un obstacle supplémentaire à l’aménagement des forêts, explique David Kaimowitz, directeur du Centre pour la recherche forestière internationale, en Indonésie. « Plus de la moitié des forêts tropicales sont situées dans des pays qui ont connu de violents conflits au cours des quinze dernières années« , expose-t-il. La deuxième plus grande forêt tropicale du monde est au Congo, pays ravagé par la guerre. Cela pose un problème aux groupes de défense de l’environnement, comme le très influent Conservation International, pour qui la durabilité implique de conserver les forêts dans leur état virginal afin de préserver la diversité biologique. La seule manière d’atteindre ce but est d’acheter de vastes parcelles de forêt et de les protéger contre les intrusions. Pour Ruth Nussbaum, de Proforest, une entreprise spécialisée dans l’aménagement durable des forêts, la question n’est pas « Pouvons-nous atteindre la durabilité ? » mais « Pouvons-nous déloger les habitants illégaux ? » Mais la plupart des gardes forestiers estiment que vouloir tout conserver intact est une approche trop radicale vouée à l’échec. « Nous avons rarement la possibilité de

 laisser les choses telles qu’elles sont », rapporte John Hudson, responsable forestier du département britannique des organisations d’aide internationale. Jeff Sayer, de WWF International, un groupe de pression écologique, estime que toute solution à long terme pour les forêts tropicales doit impliquer de meilleures conditions de vie pour ceux qui vivent dedans et aux alentours. Les grands parcs isolés et inviolés ne survivront pas au peuplement et aux pressions politiques. Comme c’est si souvent le cas dans le domaine de l’environnement, il est facile de causer des dégâts. Mais, si savoir comment procéder est difficile, mettre en application ce savoir l’est davantage encore. Ce qui est sûr, c’est que si les donateurs baissent les bras les forêts seront livrées aux extrémistes verts et aux entreprises d’exploitation forestière. Et ce sera encore pire.

 Ardea Nick Gordon

.

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.