L’Organisation mondiale de la santé estime que près de 80% de la population rurale vivant dans les pays en développement ont recours, en première intention, à la médecine traditionnelle et aux remèdes issus de la pharmacopée traditionnelle.
La crise économique, que traverse la plupart de nos Etats, ne semble pas constituer à elle seule, une explication suffisante à cette situation. En effet, la médecine traditionnelle est fortement ancrée dans la culture africaine. Les populations, surtout en milieu rural, y sont particulièrement attachées. Les tradipraticiens sont des personnes bien intégrées dans les sociétés où ils vivent et y sont très respectées. A ce titre, ils peuvent jouer un rôle important dans l’information sanitaire et les soins de santé communautaire.
L’accessibilité financière et géographique des populations à des médicaments de qualité constitue un enjeu important en matière de santé publique pour les pays africains. C’est dans ce sens que l’apport de la médecine et pharmacopée traditionnelles dans la couverture des besoins sanitaires des Africains ne peut être ignoré et négligé. Elles constituent également une source d’informations précieuses pour la recherche de nouvelles molécules actives et dignes d’intérêt dans la prise en charge thérapeutique de pathologies majeures comme le paludisme dont l’incidence économique va croissante avec l’apparition de souches de plasmodium résistantes aux antipaludiques disponibles sur le marché.
Forts de cette conviction, les Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’OUA ont institué par la Déclaration de LUSAKA, la période de 2001-2010 «décennie de la médecine traditionnelle en Afrique ». Cette déclaration est non seulement un engagement politique clairvoyant de la part de nos dirigeants mais également un véritable stimulant pour les institutions de recherche, les associations de tradipraticiens et les organisations non gouvernementales (ONG) qui œuvrent inlassablement à la promotion et à la valorisation du domaine de la médecine et de la pharmacopée traditionnelles africaines.
Faisant sienne cette Déclaration des Chefs d’Etats et de Gouvernement de l’OUA et ayant la volonté d’œuvrer dans la voie tracée par eux, l’OAPI a adopté, comme thème central de son » 40ème anniversaire «la protection et la valorisation des inventions africaines en matière de médicaments ».
En dépit des efforts de nos chercheurs dont le dynamisme et la créativité sont bien connus, il faut reconnaître que très peu de médicaments issus de la médecine et pharmacopée traditionnelles ont obtenu une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) dans les pays membres de l’OAPI. Les principales difficultés se situent au niveau des points suivants:
-l’absence d’une protection suffisante des inventions et innovations relatives aux médicaments issus de la médecine et pharmacopée traditionnelles ;
– la méconnaissance par les chercheurs, des droits de propriété intellectuelle ;
– l’inexistence d’une politique incitative à la valorisation des résultats de la recherche sur les médicaments issus de la médecine et pharmacopée traditionnelles;
– l’insuffisance de financements et d’aide à la production;
– la non disponibilité, au niveau de chaque pays, des compétences nécessaires à la valorisation;
-l’inexistence et! Ou l’inadaptation des procédures d’homologation des médicaments issus de la médecine et pharmacopée traditionnelles.
C’est pour contribuer à pallier ces insuffisances que la présente initiative a été élaborée. Les enjeux sont clairs.
L’apport de la médecine traditionnelle dans l’offre de soins en Afrique, est reconnu et accepté par l’OMS depuis la déclaration d’Alma Ata en 1978. A l’heure actuelle, l’importance du recours à la médecine traditionnelle est estimée à 80 % pour les populations vivant en milieu rural.
Il faut souligner que la médecine moderne n’arrive pas à elle seule, pour des raisons politiques, économiques (infrastructures, personnels et financement), scientifiques et culturelles à couvrir les besoins sanitaires de toutes les populations africaines. En ce qui concerne les aspects scientifiques, certaines pathologies prioritaires comme les hépatites virales et la drépanocytose n’ont pas encore trouvé de solutions satisfaisantes en médecine moderne. Il en est de même pour les cancers et le VIH/SIDA dont les prises en charge restent encore aujourd’hui hors de portée pour la majorité des Africains. Une complémentarité entre la médecine moderne et une médecine traditionnelle valorisée est donc une nécessité. C’est pour cette raison que l’OMS recommande l’intégration de la médecine traditionnelle dans les systèmes nationaux de santé.
L’accessibilité financière et géographique des populations à des médicaments de qualité, ne peut devenir une réalité sans la contribution des médicaments issus de la pharmacopée traditionnelle. Elle passe nécessairement par une amélioration significative de la qualité de la production locale, notamment à travers une exploitation soutenue des résultats de la recherche sur les médicaments issus de la pharmacopée traditionnelle.
2. Enjeux scientifiques
L’Afrique, de par sa situation géographique, dispose d’une flore riche et diversifiée dont certaines espèces sont endémiques à ce continent. Il n’est pas étonnant que certaines de nos plantes médicinales concentrent de molécules originales dans leurs propriétés pharmacologiques, pharmacodynamiques et thérapeutiques.
A titre d’exemple, la vincristine et la vinblastint, isolées de Catharanthus roseus ou pervenche de Madagascar; sont des anticancéreux qui ont fait la preuve de leur efficacité thérapeutique. A ce jour; les essais de- synthèse totale de ces molécules se sont avérés, infructueux en terme de rendement, ce qui rend la source végétale incontournable.
La richesse de la pharmacopée traditionnelle africaine représente donc un enjeu scientifique majeur. Son exploitation judicieuse et sa valorisation peuvent conduire à la mise au point de médicaments utilisables dans le traitement des pathologies qui minent nos sociétés, à savoir le VIH/SIDA, la tuberculose, le paludisme, la drépanocytose, etc.
La résistance du Plasmodium à la chloroquine interpelle nos chercheurs sur la nécessité de renforcer l’arsenal thérapeutique dans le cadre de la lutte contre le paludisme, une pathologie à laquelle les populations africaines paient, chaque année, un lourd tribut.
Cette valorisation par la recherche et la production industrielle entraînera certainement le développement d’une expertise locale pour permettre à l’Afrique de mieux couvrir ses besoins en médicaments. En effet, la mise au point et la valorisation industrielle d’un médicament nécessite une collaboration pluridisciplinaire (tradipraticiens de santé, socio-anthropologues, botanistes, chimistes, pharmacologues, toxicologues, pharmacognosistes, galéniciens, cliniciens, économistes, juristes et spécialistes en droit de propriété intellectuelle). La présence d’une telle expertise dans un pays, constitue un véritable levier de développement économique et social.
C’est dam; ce sens que, l’énorme potentiel que représente la flore africaine en terme de plantes médicinales ouvre des perspectives intéressantes dans le domaine de la recherche pour la mise au point de nouveaux médicaments. Cette flore constitue donc une source d’informations précieuses pour la recherche de nouvelles molécules actives et dignes d’intérêt dans la prise en charge thérapeutique des pathologies prioritaires.
3. Enjeux économiques
Les enjeux économiques sont tout aussi importants que les précédents. En effet, l’Afrique consacre chaque année une part importante de ses ressources financières à l’achat de médicaments importés; ce qui contribue à un déséquilibre de la balance commerciale et au développement de marchés parallèles.
Le coût extrêmement élevé de la prise en charge thérapeutique des patients souffrant de maladies chroniques comme le VIH/SIDA, déstabilise la situation financière de nos Etats. C’est ainsi que les besoins en devises pour l’achat des médicaments risquent d’atteindre dans un proche avenir, des niveaux insupportables par nos économies déjà très éprouvées par la chute du prix de certaines matières premières.
Le développement d’une industrie pharmaceutique locale est donc une nécessité. En outre, elle fournira de nombreux emplois à nos populations dans la culture des plantes médicinales, la récolte et le conditionnement des drogues végétales, la production et la commercialisation des médicaments. La valorisation industrielle de la pharmacopée traditionnelle représente donc un moyen significatif de lutte contre la pauvreté dans les Etats membres de l’OAPI.
L’utilisation des médicaments issus de la médecine et pharmacopée traditionnelles constitue un enjeu majeur en matière de santé publique pour la ‘couverture des besoins sanitaires des populations africaines. C’est pour cette raison que l’énorme potentiel que représente la flore tropicale mérite d’être valorisé.
A ce titre, nos états et le système de la propriété intellectuelle peuvent apporter une contribution importante en terme de :
– reconnaissance et promotion de la médecine traditionnelle;
– protection des inventions pour développer la recherche;
– valorisation des inventeurs notamment par la reconnaissance des activités du tradipraticien; – émergence d’une véritable industrie pharmaceutique africaine,’
– création de richesses;
– développement économique.
Dr Abdallahi Ould Mohamed Vall HMEYADA