Il s’agit ici d’un regard critique de Samuel Nguiffo, juriste, secrétaire général du centre pour l’environnement et le développement sur la gestion des ressources forestières dans les communes camerounaises.
Quel a été d’après vous, l’impact de la redevance forestière annuelle sur le développement des communes bénéficiaires au cours des dix dernières années ?
La finalité de cette redevance était claire, permettre aux communautés et communes bénéficiaires de disposer de ressources pour financer le développement local. On a cependant eu l’impression que l’administration avait été prise de court par ce dispositif prévu par la loi forestière de 1994, l’arrêté conjoint organisant les modalités de versement et d’utilisation de ces fonds n’est intervenu qu’en 1998. L’arrêté n’apportait pas de réponse à des questions qu’on était légitimement en droit de se poser, au regard du contexte général au Cameroun à l’époque, et de la finalité des fonds de la RFA. Ainsi, les modalités du contrôle de l’utilisation des fonds restaient celles habituelles dans le cadre des fonds publics, avec toute la rigueur des peines en cas de détournement, mais aussi la lourdeur et la lenteur des procédures.
Comment ces fonds doivent-ils être utilisés ?
Il n’y avait pas de clarté autour de la finalité des fonds, surtout de la portion destinée aux communes. Etaient-ils destinés à financer des projets et infrastructures bénéficiant directement aux communautés ? Ou pouvaient-ils être utilisés pour couvrir les charges de fonctionnement des communes ? Ces lacunes dans le texte ont conduit à des dérives qui ont finalement fortement limité les retombées positives de la RFA dans les communes forestières du Cameroun. Les activités, projets, infrastructures que l’on y retrouve sont largement inférieurs au potentiel que les sommes investies auraient permis de réaliser. On peut donc parler de deux décennies presque perdues pour les communes forestières, mais aussi pour l’ensemble du processus de décentralisation au Cameroun, qui aurait sans doute profité des leçons positives de cet exercice.
Quels sont les défis à relever pour que la redevance forestière profite réellement aux communes et populations bénéficiaires ?
Les défis sont nombreux, et à l’observation de presque vingt ans de fonctionnement de la RFA, on pourrait en citer trois principaux.
D’abord, la capacité des communes à planifier le développement local, et à gérer des sommes parfois importantes. Il est important de s’assurer que les communes sont accompagnées dans leurs activités de planification et de mise en œuvre du développement. Des hommes suffisamment populaires pour se faire élire maire ne sont pas forcement bon gestionnaires.
Ensuite l’implication des communautés dans le contrôle, et dans la prise de décision. Les détournements seraient, en effet, moins nombreux si la planification des besoins en projets se faisait dans les réunions publiques, suivant des critères discutés par des représentants de la commune, des villages et des services locaux de l’Etat. Les décisions prises seraient connues de tous, et le suivi du respect des engagements aussi. Concrètement, chaque village saurait quelles infrastructures seraient construites, et pourrait dire si ce qui a été construit correspond effectivement à ce qui était prévu. L’accessibilité à ces informations rendrait le processus totalement transparent, et limiterait les détournements.
Enfin, les bénéficiaires devraient avoir le droit de poursuivre en justice les coupables de détournement des fonds destinés à financer le développement local. On se trouve en effet dans une situation où les bénéficiaires d’une école à construire n’ont pas le droit de poursuivre l’entrepreneur véreux qui n’a laissé sur le site qu’une fondation à peine sortie du sol, pas plus qu’ils ne peuvent se retourner contre les responsables communaux qui ont réceptionné un ouvrage inexistant ou qui ont ordonné et exécuté le paiement. Avec les textes actuels, les communautés auront du mal à se protéger si elles ont le malheur de se retrouver sous l’administration des maires négligents ou véreux. Il est donc impératif de changer la loi, pour démocratiser le pouvoir de poursuivre en cas de détournement de fonds de la RFA. Cette mesure aurait un effet dissuasif immédiat sur les opérateurs et administrations véreux.
Propos recueillis par Kimeng Hilton NDUKONG