Le Docteur Roger Njitchoua est universitaire, expert en sciences de l’eau, expert de l’AIEA, et PDG d’une entreprise de distribution d’eau en sachets plastique. Des sachets qui polluent à une vitesse scandaleuse, l‘environnement urbain du Cameroun. Des tonnes de ces sachets jonchent les rues et les rigoles de pratiquement tous les recoins du Cameroun. Dans cet entretien, il apporte un éclairage important sur la situation de l’eau dans son pays le Cameroun.
Dr Njichoua, comment expliquez-vous l’inégale répartition des ressources en eau au Cameroun ?
La répartition géographique des ressources en eau au Cameroun, qu’elles soient superficielles ou souterraines peut s’expliquer, d’une part, par la mauvaise répartition des précipitations (lesquelles constituent la fonction entrée de tout système hydrologique et hydrogéologique), et, d’autre part, par la structure des formations géologiques susceptibles de retenir de l’eau. Parlant des précipitations, celles-ci décroissent du Sud vers le Nord du pays, avec des valeurs moyennes qui passent de plus de 1500mm/an au Sud où le climat est de type équatorial, à près de 500mm/an auprès du lac Tchad où le climat est sahélien. En raison de cette répartition latitudinale des précipitations, les ressources en eaux sont plus importantes dans la partie méridionale du Cameroun. Quant à la nature géologique du sol, toutes les formations géologiques n’ont pas le même potentiel hydrogéologique. Les formations géologiques à forte porosité (formations sableuses par exemple) présentent des fortes dispositions aquifères que les formations présentant une porosité faible à nulle (formations granitiques ou argileuses). Le bassin sédimentaire de Douala par exemple, du fait des effets conjugués d’une part, de sa géologie composée de plusieurs séquences de formations sableuses et sablo-argileuses et, d’autre part, de sa pluviométrie favorable, dispose d’importants réserves en eau souterraine.
Quelles sont les causes de la dégradation des ressources en eau Cameroun
Les activités humaines sont aujourd’hui les principales causes de la dégradation de nos ressources en eau. A travers ses activités industrielles, agricoles et même domestiques, l’homme contribue à détériorer la qualité de nos ressources en eau. Cette insalubrité de l’eau est à l’origine de maladies comme le choléra, la dysenterie, l’hépatite ou même la diarrhée qui tuent chaque année plusieurs millions de personnes dans le monde et surtout en Afrique.
Comment expliquez que même lorsqu’elle est disponible, l’eau de la Camerounaise des eaux (CDE) ne soit pas de bonne qualité ?
Je ne dispose d’aucune analyse chimique et bactériologique de l’eau de la CDE pour pouvoir confirmer vos propos sur la qualité de l’eau de la CDE. Néanmoins, de façon théorique, la mauvaise qualité du réseau (entre le point de traitement de l’eau brute et le point de l’utilisation de l’eau traitée) peut favoriser une altération de la qualité de l’eau recueillie à nos robinets.
Quel jugement faites-vous de la construction tous azimuts des forages dans les quartiers de Douala ?
Comme je l’ai indiqué plus haut, la ville de Douala est bâtie sur un bassin sédimentaire contenant de nombreuses nappes aquifères. L’exploitation de ces nappes peut se faire soit par les puits, ou par des forages. Et c’est ce qui est fait à Douala par les entreprises ou par des particuliers. Toutefois, l’implantation de ces forages devra être planifiée et autorisée par les autorités concernées, notamment le Ministère de l’énergie et de l’Eau, et le Ministère de l’Industrie, des Mines et du Développement Industriel. L’implantation anarchique des forages peut entraîner de désagréments très dommageables pour la ressource à moyen et à long terme. Les exploitants de ces forages doivent également s’assurer que l’eau distribuée pour la consommation humaine répond bien aux normes quant à leurs compositions chimiques et bactériologiques.
Qu’est ce qui peut justifier la pénurie d’eau que connaît la ville de Yaoundé capitale politique du Cameroun ?
La démographie galopante que connaît la ville de Yaoundé justifie selon moi la pénurie de l’eau que nous observons ces derniers temps dans cette ville. Voyez-vous, l’eau potable distribuée à la population de Yaoundé est captée dans le Nyong, et plus précisément à Akomnyada. Cette station de captage avait été mise en service dans les années 1990-92 à travers le projet COLAVINO Yaoundé Horizon 2005. Il s’agissait déjà pour les pouvoirs publics de répondre à l’accroissement des besoins en eau potable de la population. Il faut dire ici que ces besoins avaient largement dépassé la capacité de la Mefou qui était de 50000 m3/j. Avec une production journalière de 100000m3/j, la capacité du Nyong ne suffit plus pour répondre aux besoins actuels de Yaoundé estimés à un peu plus de150000 m3/j. Notons qu’à l’horizon 2012-2015, ces besoins pourront être supérieurs à 250000m3/j.
Pourquoi ne développe-t-on pas les forages à Yaoundé comme à Douala pour pallier à ce manque d’eau ?
En raison de la nature géologique du soul-sol à Yaoundé, cette solution ne peut donner des résultats probants. En effet, les formations métamorphiques qui constituent l’essentiel de la géologie de Yaoundé et des environ ne sont pas favorables à la formation des nappes aquifères. L’épaisseur de la couche latéritique surplombant ces formations latéritiques est si faible que l’on ne peut obtenir que des débits de moins de 2m3/h, et aussi les fractures observées dans les niveaux au dessus de la roche saine ne sont pas suffisamment connectés de sorte à constituer un aquifère.
Est-ce à dire que Yaoundé est condamnée ?
Non, Yaoundé n’est pas condamné ; des solutions existent à court terme, une des solutions serait la remise en service de la station de la Mefou. Cette solution apporterait près de 50 000 m3/j à la production actuelle. A moyen terme, il faudra renforcer l’offre actuelle en envisageant un captage sur la Sanaga. Je crois savoir qu’une étude de faisabilité est menée dans ce sans sur la Sanaga
Propos recueillis par Emmanuel Ekouli