A presqu’un an de la CAN 2019, les deux principales villes du Cameroun, pays hôte, suffoquent sous le poids des immondices. Face à un Etat insolvable, Hysacam, la société d’hygiène et salubrité, ne tient plus sur ses deux pieds. Elle doit également compter avec l’incivisme des populations.
Yaoundé la coquette ! Douala la belle !
Ça, c’était avant. Aujourd’hui, le décor a bien changé. Si des immeubles et mini tours poussent comme des champignons de part et d’autre pour embellir les façades métropolitaines, les ordures quant à elles, ne se laissent pas faire. Elles ont pris le dessus ces dernières années, rendant hideux le visage des deux plus importantes métropoles du Cameroun, pays hôte de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) 2019. Mimboman, Ekounou, Essos, Elig Esono, Mvan, Efoulan, Nsam, Odza, Nkoabang, Titi Garage, Manguier, Mendong, Mvog Ada, Etoudi, Ngousso, Nkol Eton, New Bell, Bepanda, Sité Sic, Nyalla, Akwa, Village, Logbaba, Brazzaville, Dakar, Bonabéri…la liste des quartiers où l’insalubrité est devenue la règle, et le contraire, l’exception, est loin d’être exhaustive.
Lassées de cohabiter au quotidien avec des immondices entassées en bordure des routes ou dans des bacs à ordures, les populations ne savent plus à quel saint se vouer. Hysacam, la Société d’hygiène et salubrité du Cameroun, passe une fois après des lustres dans certains quartiers pour assurer la collecte. Le temps pour les ordures ménagères et autres déchets de former une impressionnante montagne de poubelle. Du pain béni pour des mouches, rats, souris et cafards.
Dans un tel environnement, les moustiques ne manquent pas de trouver leur compte. Tant pis si le paludisme passe par là. Mais au-delà du factuel et des conséquences préjudiciables à plus d’un titre, il convient de questionner les causes.
Pourquoi et comment en est-on arrivé là ? Que faut-il faire pour y remédier ? Qu’est-ce qui peut expliquer l’insalubrité chronique à Yaoundé et Douala, au moment où ces deux principales vitrines du Cameroun devraient plutôt faire leur mue, afin d’accueillir les invités de la CAN 2019 dans la propreté ?
Précarité financière d’Hysacam
A Hysacam, principale société chargée de la collecte et du traitement des ordures ménagères dans le pays, l’on évoque les difficultés financières de l’entreprise. En effet, le gouvernement camerounais n’est pas toujours bon élève lorsqu’il s’agit de payer ses factures, et Hysacam en fait les frais. Dans un communiqué rendu public en début d’année en cours, Hysacam soulignait que sur 7 milliards de F CFA que l’Etat du Cameroun devait à cette entreprise en décembre 2017, seul 45% dudit montant avait été réglé, soit 2,5 milliards de F CFA. Le reste, 4,5 milliards de F CFA, soit 55% de la dette, n’est toujours pas entièrement soldé. Ce qui explique ces derniers mois, la précarité financière d’Hysacam. Du coup, cette société qui était créditée d’un des meilleurs bilans mensuels en termes de gestion du climat social, est rentrée elle aussi dans la tourmente des mouvements d’humeur. «Le traitement salarial n’est plus comme avant», se désole un employé d’Hysacam. Conséquence, le personnel est moins motivé, et la société peine à assurer quotidiennement le ramassage des ordures dans le pays.
Entretemps, le grand débiteur semble plus préoccupé par l’ouverture à la concurrence de l’activité de collecte et de traitement des ordures, qu’au règlement de ses factures envers Hysacam. Le 25 janvier 2017, on se souvient que la présidence de la République avait acté l’ouverture de ce secteur d’activité à la concurrence, à la surprise du Pdg d’Hysacam.
«L’Etat qui se trouve aujourd’hui très insolvable avec un seul opérateur, pourra-t-il inverser la courbe lorsqu’ils seront plusieurs, s’interrogeait Michel Ngapanoun pour s’en étonner. De plus, selon Jean Claude Mbwentchou, ministre de l’Habitat et du développement urbain, tutelle de ce secteur d’activité, le mode de paiement des futurs prestataires sera le même qu’avec Hysacam. Des appels d’offres ont été émis au mois d’avril 2018 pour «recruter » les concurrents d’Hysacam, société présente au Cameroun depuis 47 ans.
Contexte sécuritaire défavorable
Aussi, l’étonnement du Pdg d’Hysacam prend-t-il tout son sens dans la mesure où rien ne garantit que les contraintes évoquées par l’Etat pour justifier ses impayées seront résolues d’ici peu. A savoir notamment l’insécurité à l’Extrême-nord, la crise anglophone dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest. La dette quant à elle aura pris assurément des proportions vertigineuses. A titre d’exemple, pour financer la collecte des ordures dans la capitale politique, Hysacam reçoit 15% de ses fonds auprès de la Communauté urbaine de Yaoundé (Cuy), et 85% de l’Etat. Mais le manque à gagner induit par l’irrégularité des paiements de l’Etat, fait que la collecte subit de nombreux désagréments à Yaoundé et Douala.
Tout compte fait, c’est à se demander si l’accord de prêt syndiqué de 24,5 milliards de F CFA signé le 19 octobre 2017 à Yaoundé entre Hysacam et un pool bancaire local produira les fruits escomptés. La Banque internationale du Cameroun pour l’épargne et le crédit (Bicec – Groupe BPCE) y contribuait à hauteur de 11,5 milliards de F CFA, la Société générale du Cameroun (Sgc), 7 milliards de F CFA, et Ecobank Cameroun, 7,6 milliards de F CFA. Ce prêt a bénéficié de la caution de Proparco, filiale de l’Agence française de développement (Afd), dédiée au secteur privé. Il visait à acquérir 211 camions dont 11 déjà livrés, et 17 engins lourds. La livraison du matériel était prévue entre décembre 2017 et mars 2018, mais l’insolvabilité de l’Etat qui fragilise Hysacam pourrait compromettre les objectifs de cet accord.
Bacs à ordures vandalisés
Aux impayés néfastes de l’Etat, s’ajoute l’incivisme des populations. «Il y en a qui détruisent complètement les bacs à ordures pour en faire la ferraille, alors que ces bacs sont construits à des millions de F CFA. Ils sont coupés et vendus à 200 000 F CFA. Il y en a également qui prennent des bacs en plastique pour en faire des récipients d’eau dans leurs domiciles», regrette Garba Hamadou, responsable de la communication à Hysacam. Outre l’incivisme, l’accroissement de la population à un rythme peu maitrisé n’arrange pas les choses. Dans la seule ville de Douala, poursuit la même source, la population croit à un taux estimatif de 5% par an, une métropole dans laquelle pas moins de 10 000 tonnes de déchets sont produits chaque jour. Hysacam, malgré ses 500 camions en bon état, 50 engins lourds, 2 centrales de captage et de traitement du biogaz, ne parvient pas à tout collecter. Au moins 500 tonnes d’ordures ménagères sont enfuies dans les quartiers selon Garba Hamadou.
Njiki Fandono